01/09/2022 - ARTICLE
Bénédicte Ndjoko, historienne

État des lieux sur racisme structurel

Dans une déclaration adressée au Conseil national en septembre 1985, le Conseil fédéral indiquait ceci : « Le public ignore tout des raisons qui ont poussé les réfugiés actuels à fuir. La couleur de leur peau, leur culture si différente de la nôtre nous effraient. »

In, Lorena Parini, La politique d’asile en Suisse, 1997

Dans l’entendement biologique aujourd’hui, les races n’existent pas. Comment alors expliquer que certaines catégories humaines fassent encore l’objet de discriminations basées sur le fondement imaginaire de la race?  

La mise en place des marqueurs sociaux racialisant pour définir l’Autre est une invention du 17ème siècle européen car elle répond au besoin de hiérarchisation du monde qui accompagne  l’avènement de la traite transatlantique et se poursuit avec la colonisation. Malgré les luttes pour l’abolition de l’esclavage et les mouvements anticoloniaux, la hiérarchisation raciale, bien qu’invalidée par la science aujourd’hui, existe  encore dans les imaginaires sociaux. Celle-ci a des effets puissants en dépit des politiques volontaristes contre le racisme notamment dans les démocraties libérales occidentales. Ainsi, dans notre monde contemporain, la question noire, celle des inégalités subies par des personnes chromatiquement marquées n’a pas trouvé d’épilogue mais est au contraire renouvelée du fait de la montée des nationalismes occidentaux et des politiques qui flirtent de plus en plus ouvertement avec l’idée de la race.

Quel est alors le visage de ce racisme ? Est-il une réactivation de vieux schèmes ou adopte-il des contours nouveaux ? Si l’idée d’infériorité raciale des noirs, qui en fait des êtres physiquement et intellectuellement inadéquats, subsiste chez certaines personnes, force est de constater que sa justification en terme idéologique est socialement marginalisée. Aujourd’hui, les discours discriminatoires se donnent pour mission de prouver que les individus qu’ils rejettent ont des différences culturelles indépassables, qui ne leur permettent pas de partager les valeurs des sociétés dans lesquelles ils ont élus domicile. A côté de ces discours, comme le montre et le dit le Professeur Tricia Rose, on observe dans certaines structures sociales organisant nos relations, qu’il y a une «normalisation et (une) légitimation d'un ensemble de dynamiques, historiques, culturelles, institutionnelles et interpersonnelles, qui avantagent systématiquement les Blancs tout en produisant des résultats négatifs cumulatifs et chroniques pour les personnes de couleur.» Ainsi, une personne racisée, au moment de passer une frontière sera systématiquement arrêtée et son document d’identité fouillé alors que les personnes à la peau blanche qui la précèdent ou la suivent pourront généralement passer sans encombre après un rapide coup d’œil lancé sur la couverture du passeport. C’est ce que l’on nomme le délit de faciès. Ce dernier joue également un rôle déterminant dans les violences policières qui ne sont pas seulement l’apanage des Etats-Unis, comme le relèvent des experts indépendants des Nations Unies, en janvier 2022, pour le cas de la Suisse. On peut également exemplifier ces actes de racisme structurel en montrant comment ces biais racistes, qui associent certaines caractéristiques négatives avec une couleur donnée, peuvent être activés sans intentions discriminatoires manifestes dans le domaine de l’embauche, de la santé, ou du logement. A formation égale, on écartera plus facilement un CV comportant la photo d’une personne afro-descendante. On hésitera pas à refuser une péridurale à une femme afro-descendante au motif que les femmes en Afrique supportent très bien la douleur et on va se prémunir du «bruit et des odeurs» en refusant un appartement à des familles historiquement construites comme noires.

Que faire donc ? Faire avancer la démocratie, c’est mettre en échec les stigmates qui construisent fictivement des identités, arrêter de parler à la place de ceux qui subissent les expériences racistes, reconnaître et valoriser la part que les cultures noires jouent dans les sociétés plurielles qui sont aujourd’hui une réalité. Il ne s’agit pas d’un remplacement des uns par les autres mais de vivre ensemble sans se bander les yeux.

Aussi penser qu’il suffit de changer une politique, en promouvoir une autre, ne va pas faire fondamentalement changer les causes tant que les voix racialisées, en demande de représentativité pour faire avancer la cause de l’égalité, seront écartées des débats qui ont vocation à construire une société humaine.